Rentrer chez soi ne doit jamais être qu’un chemin d’envies. Mais une préparation d’esprit. Rentrer chez soi doit être un cheminement plus qu’une volonté. Et encore plus pour les membres de la diaspora africaine, dont le retour implique une réflexion approfondie, tant pratique, organisationnelle, socioculturelle, matérielle que spirituelle. Sous quels aspects et de quelle manière ?
L’AUTONOMIE FINANCIÈRE COMME PRÉ-REQUIS
Il ne faut vouloir revenir, pour faire, entreprendre, initier des idées, réaliser des chosesdans son pays d’appartenance ou dans un pays africain ; que lorsqu’on n’a plus besoin des ressources du pays. C’est-à-dire, quand on a une autonomie financière capable de se permettre de prendre des risques sans se trouver en situation risquée de vie, de fonctionnement, et d’audaces. C’est-à-dire, quand on peut défricher des sentiers de concepts, d’initiatives, de projets sans se mordre les doigts d’inquiétude. C’est-à-dire quand on sait dès le départ qu’il est possible de faire, refaire et défaire sans la peur de perte, sans la peur au ventre.
Revenir au pays sans dépendre des ressources locales est d’emblée crucial. Cela offre des possibilités d’émancipation, d’éclosion, de perspectives, d’actions, de gestions qui permettent d’oser les défis les plus insoupçonnés mais si tant précieux pour bousculer l’écosystème. Quitte à pouvoir affronter les turbulences qui en découlent (sur quelque aspect que ce soit) sans être vulnérable aux dynamiques économiques locales souvent instables. Elle offre la liberté d’exercer des choix et de prendre des initiatives sans la pression immédiate de la survie rentable ou quotidienne.
SE PRÉMUNIR DU COURAGE DE L’ADAPTATION
Rentrer chez soi demande de s’ancrer à un courage aveuglé et un regard désabusé, prêt à dépasser ce qu’on voit pour insuffler ce qu’on veut. Ce retour ne doit pas être une mission de sauvetage, mais une opportunité de contribuer habilement. Il s’agit de cultiver un esprit ouvert et adaptable, prêt à intégrer les réalités locales. Un tri qui consiste à accepter être édifié par ce qui le mérite, sans jamais se laisser phagocyter par ce qui n’édifie pas.
Il n’y a pas donc pas de « normalement, c’est comme ça qu’on fait » qui tienne. Il s’agit de comprendre comment les gens font localement, de voir comment induire en eux une mutation progressive, en étant fin, futé et sans attendre de gratitude. Éviter surtout d’être un donneur de leçons, mais plutôt un incitateur discret de changement.
Il faut être stratégique, apprendre des mécanismes en place sans imposer frontalement sa vision. Cette approche facilite une intégration douce et évite de devenir une cible.
Revenir sans vouloir être sauveur, mais comme apporteur, contributeur, édificateur subtil. Apporter des solutions discrètes et efficaces pour gagner la confiance des locaux et créer un impact durable.
Adopter une distance de réalisme pour percevoir que ce qu’on verra sur place sera toujours différent de ce qu’on a toujours vu/vécu/expérimenté ailleurs. Autant dans les pratiques, les habitudes, les réflexions, les mentalités, l’approche et l’implémentation. Cette distance critique permet une adaptation concrète, concluante et agissante.
Ensuite, il faudra oser déconstruire pour réformer. Comprendre les faiblesses et forces des systèmes pour les améliorer de l’intérieur. Cette déconstruction doit être tactique et discrète, pour éviter les résistances et conflits inutiles.
BÂTIR UNE NEUTRALITÉ ET UNE APPROCHE D’APPRENTISSAGE
Revenir induit de se forger une approche réaliste de comment s’intégrer. Pour y parvenir : apprendre la langue, ou à défaut le langage, ou tout au moins les codes de là où l’on revient. Cela signifie qu’il faut s’immerger dans les subtilités linguistiques, les expressions idiomatiques, et les non-dits culturels qui façonnent la communication locale. Maîtriser ces aspects, c’est non seulement faciliter les échanges, mais aussi s’ouvrir à une compréhension plus profonde des mentalités et des valeurs locales. Cela permet de naviguer avec aisance dans les interactions quotidiennes et de tisser des liens authentiques. En intégrant ces éléments, l’on renforce sa capacité à s’adapter et à influencer positivement, sa communauté d’accueil.Et cela, de manière collaborative et harmonieuse.
VEILLER À UNEPRÉVENTION SPIRITUELLE
Nul retour n’est prudent/intelligent/pertinent sans se préparer spirituellement à vivre ou affronter les défis sociocultu(r)els qui attendent ou vont surgir. Comprendre les pratiques spirituelles locales et s’y reconnecter peut offrir une protection et une guidance intérieure essentielle. Il s’agit d’avoir les moyens de se garantir des chances de survie au-delà du corporel, en étant à la hauteur des personnes de mauvaise graine qui auraient ancré leur gangrène spiritueuse jusqu’à l’enracinement.
Et avant de se targuer d’être suffisamment à l’abri au nom d’on ne sait quelle religion apportée par les colonisations et les traites négrières ; se rappeler qu’un dentiste ne soigne pas le cœur et qu’une crise cardiaque ne s’opère pas chez un gynécologue.
Cette préparation spirituelle inclut d’aller vers les traditions du terrain, afin d’appréhenderson destin d’appartenance, de prendre ou renouer avec son Fâ (système de divination pratiqué en Afrique occidentale, notamment au Nigéria, au Bénin et au Togo), de faire des travaux d’ancrage à ses divinités tutélaires, de consultations ponctuelles et cycliques lors de décisions à prendre, de projets à entamer.
C’est un acte de recentrement qui permet de faire affluer vers soi, les ondes porteuses de clairvoyance, de prévoyance, et de projection nuancée vers ses objectifs. C’est aussi un acte de résistance et de résilience face aux personnes mal intentionnées.
AU FINAL…
Revenir chez soi se fait sans s’excuser de n’y avoir pas été depuis toujours, depuis peu ou depuis longtemps. Il ne s’agit pas de faire de la réappropriation malaisée de son ancrage à ses origines. Le retour au pays pour les membres de la diaspora africaine est une démarche complexe qui nécessite une préparation minutieuse. Il s’agit d’unir autonomie financière, apprêt spirituel, pragmatisme et une approche critique mais bienveillante. Ce retour ne doit pas être perçu comme une simple envie, mais comme une mission préparée avec soin, avec la vision froide de contribuer positivement et durablement au développement du pays d’origine. En adoptant cette approche, les membres de la diaspora peuvent non seulement s’intégrer avec succès, mais aussi devenir des agents de changement subtils et efficaces.
Djamila Mama Gao