« Retourner construire son pays, retourner participer au développement, retourner au pays créer des emplois etc. ». Le refrain a été entonné du temps de nos pères, ces travailleurs partis à l’aventure dans les années 60 à 80, à l’époque où les chantiers français recrutaient à tour de bras. Le refrain est revenu à la fin des années 90 ; aujourd’hui encore, il tourne, s’est même enrichi de quelques lignes à la sauce personnal branding et de quelques anglicismes pompeux, mais le message reste le même.
A l’ère où le concept de repat est en vogue, l’appel à construire un contient « plein d’avenir », « qui représente le futur » se fait de plus en plus pressant. Et autour de ces entrepreneurs qui ont répondu au chant des sirènes avec peu ou prou de succès, se construit un narratif. Il n’est pas question de s’enrichir ou de devenir des nouveaux maitres, mais « d’aider l’Afrique ».
Une clarification sémantique s’impose. Un entrepreneur a-t-il pour vocation première d’aider ? est-il automatiquement un philanthrope ?
l’objectif d’une entreprise dans un monde capitaliste est la maximisation du profit, tandis qu’un organisme de philanthropie est mû par la volonté de venir en aide aux autres, le désir d’entraide, de solidarité.
Il va s’en dire que le repat s’interrogera sur ses objectifs pour décider de sa casquette, s’il ne veut pas s’exposer à de sévères désillusions. S’il se sent l’âme d’un entrepreneur, il devra enfiler le costume avec le pragmatisme qui s’impose et assumer certaines décisions difficiles (même si dans la pratique, en fonction de ses succès entrepreneuriaux, il pourra faire des œuvres sociales par le biais d’une fondation). La création d’emplois ne pourra être son objectif principal, même s’il peut être un honorable corollaire ; au contraire, l’entrepreneur pourra être amené à en supprimer si cette action répond à sa stratégie. En revanche, si le repat est plutôt porté sur des projets philanthropiques, il pourra les réaliser par le biais d’un organisme dédié, mais sans mélange des genres
Quelle est la plus-value réelle de son action ? L’entrepreneur repat créé-t-il réellement de nouveaux emplois ? La mise en place d’un business avec des activités nouvelles et une clientèle auparavant inexistante créée de l’emploi, en ce sens que cette clientèle n’existerait pas autrement et ne se serait pas tournée vers d’autres entrepreneurs locaux. Par exemple, la création d’un club balnéaire de vacances avec aménagement d’une berge peut attirer une majorité de touristes qui ne se seraient jamais rendus autrement au Bénin ; les emplois créés n’auraient pas existé autrement. En revanche, l’ouverture ou la reprise d’un restaurant dans une rue commerçante qui comporte plusieurs autres restaurants, ne « crée » pas de nouveaux emplois ; les emplois « créés » ne sont qu’un déplacement des emplois existant auprès de la concurrence.
L’entrepreneur, débarrassé de ses œillères, pourra se concentrer sur son rôle et ses objectifs. Il sera mieux préparé aux décisions difficiles et ne s’enfoncera pas dans une incompréhension naïve quand surviendront les difficultés et parfois les trahisons de « ceux qu’il est venu aider ». Il sera prêt car il aura depuis longtemps intégré qu’il est surtout et avant tout un entrepreneur, avec les mêmes ambitions que ses confrères, les mêmes défis, et l’exposition aux mêmes contraintes.
Martial T. KOGON